Nelson Mandela est mort
Il disait qu’il n’était « ni un saint ni un prophète ». Il déplorait qu’on le présente comme « une sorte de demi-dieu ». Il insistait sur ses « erreurs », ses « insuffisances », ses « impatiences ». Jusqu’au bout, tandis qu’on le fêtait à travers le monde, tandis que les Etats et les puissants lui tressaient des lauriers, lui dressaient des statues, lui décernaient des palmes et des récompenses, tandis qu’un peu partout on donnait son nom à des milliers d’écoles, d’universités, de rues, de places, de parcs et d’institutions diverses, jusqu’au bout il s’est voulu « un homme comme les autres, un pécheur qui essaie de s’améliorer ».
Nelson Mandela est mort à l’âge de 95 ans à son domicile de Johannesburg, a annoncé dans la soirée du jeudi 5 décembre le président sud-africain Jacob Zuma, en direct à la télévision publique. « Notre cher Madiba aura des funérailles d’Etat », a-t-il ajouté, annonçant que les drapeaux seraient en berne à partir de vendredi et jusqu’aux obsèques.
On l’a comparé, et on l’identifiera plus encore maintenant qu’il est mort, au Mahatma Gandhi, au dalaï lama, à Martin Luther King. Même charisme, même volonté farouche. L’histoire tranchera. Bill Clinton voyait en lui « le triomphe de l’esprit humain, le symbole de la grandeur d’âme née dans l’adversité ». Il est plus probable que Nelson Rolihlahla Mandela restera, pour l’Afrique, ce qu’Abraham Lincoln fut pour l’Amérique du Nord, ou Simon Bolivar pour celle du Sud : un libérateur.
Il aimait les jolies femmes, les beaux costumes, les chemises bariolées, la boxe, la musique et la danse. Divorcé deux fois, il a fait cinq enfants à deux épouses successives avant de finir sa vie avec une troisième. Il lui est arrivé de mentir, de manipuler des interlocuteurs, de pactiser avec des gens peu recommandables, de se laisser emporter par la colère, de se montrer injuste, indifférent ou dictatorial avec des proches, des collègues, voire avec ses enfants.
ÉLEVÉ POUR RÉGNER ET COMMANDER
Ce n’était ni un messager de Dieu ni un ange descendu du ciel. Pas même un pacifiste. C’était un humain, issu de la noblesse d’Afrique, un fils de chef, né dans l’orbite des étoiles, élevé pour régner et commander. Mandela était un géant comme il en éclot moins d’un par siècle sur la planète. Il faudrait une bibliothèque entière pour restituer l’œuvre du personnage. Et des centaines d’ouvrages ont déjà été écrits à travers le monde sur le destin et la pensée de ce charismatique et énigmatique vieux sage.
Aujourd’hui, on s’interroge sur l’avenir de l’Afrique du Sud, et sur la pérennité de l’héritage démocratique qu’il a laissé. Certains radicaux se demandent si « Madiba » – comme il aimait à être nommé parce que c’était le nom de son clan tribal et qu’il n’avait « jamais su » pourquoi sa première institutrice, une missionnaire britannique, lui avait attribué d’autorité le nom de Nelson à l’âge de 9 ans, alors que son vrai prénom était Rolihlahla – ne s’est pas trompé.
Au vu des fortes inégalités et des injustices qui perdurent dans la République « arc-en-ciel », le plus souvent au profit de la minorité blanche, certains avancent que Mandela a trop cédé à cette dernière, lui a trop pardonné. Qu’il eût peut-être mieux valu une vraie révolution accompagnée d’une véritable redistribution des richesses, des droits et des privilèges au profit de la majorité noire.
En clair, ils reprochent au « fauteur de troubles » – traduction approximative de « Rolihlahla » en langue xhosa – de s’être montré trop clément avec la minorité blanche, d’avoir assuré une transition démocratique en douceur, d’avoir instauré la règle du « un homme, une voix » et d’être ainsi devenu, le plus équitablement du monde et avec le minimum de troubles et d’affrontements possibles, le premier président noir élu par tout le peuple d’Afrique du Sud. En d’autres termes, on lui reproche ce qui restera à jamais dans l’histoire comme sa plus grande œuvre : avoir évité à son pays sans doute la plus sanglante des guerres civiles d’Afrique.
« UN IDÉAL POUR LEQUEL JE SUIS PRÊT À MOURIR »
Dès avant sa libération, le 11 février 1990, après vingt-sept années d’enfermement, cet homme d’exception était déjà un exemple pour tous les opprimés de la terre, une légende, un mythe quasi universel. Cinq phrases, prononcées en conclusion d’une plaidoirie de quatre heures à son propre procès le 20 avril 1964, lui avaient ouvert à jamais le cœur des hommes.
Ce texte, qui fit le tour du monde avant que le gouvernement minoritaire blanc de l’apartheid interdise sa diffusion et bannisse pendant trois décennies jusqu’au nom et aux traits du célèbre prisonnier de Robben Island, le voici : « J’ai dédié ma vie à la lutte pour le peuple africain. J’ai combattu la domination blanche et j’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l’harmonie, avec d’égales opportunités. C’est un idéal que j’espère atteindre et pour lequel j’espère vivre. Mais, si besoin est, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »
Six semaines plus tard, le 11 juin 1964, Nelson Mandela, qui était en prison depuis déjà deux ans, échappait de justesse à la peine de mort et était condamné, avec huit de ses camarades de combat, à la prison à vie pour « haute trahison et tentative de renversement par la force du gouvernement » blanc.
Au cas où la potence aurait été, comme pour tant d’autres, au bout du chemin, Mandela avait préparé pour la postérité une autre petite phrase retrouvée plus tard dans ses notes de cellule : « Je veux que tous ici sachent que je vais à la rencontre de mon destin comme un homme. » Ce courage, ce panache devant une mort si injuste, ne venaient évidemment pas de nulle part. Ces qualités autant que la vision du prisonnier politique le plus célébré de l’univers accompagnèrent toute la longue vie de l’« Africain capital », comme on allait plus tard le célébrer.
LE PÈRE, CHEF DU CLAN MADIBA, BANNI DE SA TERRE
Rolihlahla Mandela naît le 18 juillet 1918 dans une hutte circulaire du village de Mvezo, dans le district d’Umtata. Peu après sa naissance, le père, chef du clan Madiba et membre de la dynastie des Thembu, qui régnait depuis des siècles sur la région du Transkei, est banni de sa terre par l’autorité coloniale blanche au motif qu’il n’était pas assez coopératif. Roi des Thembu, l’une des grandes tribus de la nation Xhosa, seconde en nombre dans le pays derrière les Zoulous, l’arrière-grand-père de Rolihlahla, mort en 1832, avait un fils appelé Mandela, source, plus tard, du patronyme familial.
Déporté dans un autre village proche, nommé Qunu – la hutte familiale existe toujours et Mandela président s’y fera construire une autre maison –, le chef destitué des Madiba, ses quatre épouses et ses treize enfants vivent chichement, mais avec dignité. Les Thembu reconnaissent son rang et, lorsque le père meurt de tuberculose, Rolihlahla, alors âgé de 9 ans, est pris en charge par le régent de la tribu. Il deviendra le premier de sa famille à aller en classe, dans une mission méthodiste.
Président, Mandela ira souvent se ressourcer dans son village, auprès de son clan. Dans ses Mémoires, il évoque « l’enfance heureuse » qu’il y mena au milieu des vaches qu’il avait à garder. « Je me souviens avoir écouté les anciens de ma tribu raconter les histoires d’autrefois, le bonheur d’autrefois et puis les guerres livrées par nos ancêtres pour défendre notre patrie » contre le colonisateur. Madiba est « fier » de ses racines tribales.
A l’ouverture de son ultime procès, le 9 octobre 1963, il se présente drapé dans un kaross, la cape traditionnelle en peau de léopard des dignitaires xhosa. « J’ai choisi de revêtir ce costume pour souligner le symbolisme de l’Africain noir dans un tribunal exclusivement blanc », explique-t-il. Mandela « le grand communicateur », qui fera si souvent merveille plus tard, qui saura, d’instinct, utiliser l’image et les médias pour avancer sa grande cause de la réconciliation entre les races, perce déjà sous le militant.
Il est conscient de son rang « jusqu’à l’arrogance », diront certains de ses amis.
« On peut tout m’imposer, mais détruire ma dignité, jamais ! » Toujours poli et courtois avec ses gardiens afrikaners, à Robben Island comme dans la prison Pollsmoor où il sera transféré en 1982, il exige et obtient, malgré les mauvais traitements que tous les détenus ont à endurer, d’être traité avec respect. A la fin des années 1990, il sera l’un des rares chefs d’Etat du monde à donner du « chère Elizabeth » à la reine d’Angleterre…
« L’UNIVERSITÉ ROBBEN ISLAND »
A « l’école des Blancs », le jeune Rolihlahla, excellent élève, a appris leur histoire, leur culture. Il adore Haendel, Tchaïkovski, adule Shakespeare. Adulte, il étudiera Clausewitz et Che Guevara. En prison, il parfait ses connaissances en droit, obtient deux diplômes d’études supérieures par correspondance, partage ses acquis avec ses codétenus – au point que la plupart évoqueront en souriant « l’université Robben Island » qu’il a mise en place sur l’île forteresse.
En prison, il apprend la langue afrikaans, étudie l’histoire et la littérature de « l’ennemi », invite ses camarades à faire de même, « parce qu’un jour, dit-il, il faudra que tous les peuples de notre pays, Afrikaners compris, se comprennent pour vivre ensemble ». La vision est déjà là, solide. « La souffrance peut engendrer l’amertume ou ennoblir, explique Mgr Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix 1984, chef de l’Eglise anglicane sud-africaine et militant infatigable de la lutte antiapartheid. Madiba a développé une générosité, une magnanimité hors du commun. »
La personnalité africaine de Mandela n’y est pas pour rien. Adolescent, il a découvert, auprès du régent des Thembu, la philosophie centrale de la culture xhosa – et de tous les peuples bantous auxquels appartiennent aussi les Zoulous et d’autres peuples noirs : l’ubuntu, une fraternité, une manière de vivre ensemble. Fondé sur un sentiment d’appartenance à une humanité plus vaste, le concept contraint ses adeptes à respecter autrui, à faire preuve de compassion, de compréhension. Il s’oppose à l’égoïsme et à l’individualisme, réputés « valeurs blanches ».
Dans le manifeste que Mandela contribue à rédiger dès 1944 pour la création de la Ligue des jeunes de l’ANC, le Congrès national africain, qui existe alors depuis trente-deux ans mais ne se faisait guère entendre, l’ubuntu, qui interprète l’univers comme un tout organique en chemin vers l’harmonie, est déjà présent. L’idée fera sa route dans d’autres documents politiques de l’ANC et jusque dans la nouvelle constitution de la nation « arc-en-ciel » de 1996.
Les Afrikaners, qui ont institutionnalisé le développement séparé – apartheid – en 1948, qui ont créé les bantoustans, régions autonomes réservées aux Noirs, privés des droits les plus élémentaires, mais ont aussi tué, torturé et emprisonné des milliers de gens parce qu’ils se rebellaient contre cet ordre inique, doivent-ils à l’Ubuntu d’avoir échappé aux massacres postapartheid ? Sans doute en partie.
PAS UN PACIFISTE
Car l’homme qui, après sa libération, poussera l’exemple du pardon jusqu’à serrer la main du procureur afrikaner qui voulait le pendre en 1964, qui rendra visite à la veuve du Dr Verwoerd, l’architecte historique de l’apartheid, le président qui mettra en place à travers le pays, et contre l’avis de ses camarades de combat, ces commissions Vérité et réconciliation, où les leaders, les serviteurs civils, policiers et militaires de l’apartheid, viendront confesser leurs crimes et demander pardon, cet homme-là, on l’a dit, n’était pas un pacifiste.
Il ne le niera pas devant ses juges, c’est lui qui, après le massacre de Sharpeville, au cours duquel la police blanche abat plus de soixante-sept Noirs dans une manifestation en mars 1960, plaide au sein de l’ANC pour mettre un terme à la stratégie de non-violence, qui n’avait abouti, en un demi-siècle de pratique, à aucun résultat ; lui qui allait créer et diriger, à partir de juin 1961, l’Umkhonto we Sizwe, la « Lance de la nation », branche armée du mouvement. En juin 1962, après une tournée clandestine dans une douzaine de pays d’Afrique, dont l’Algérie, il est en Ethiopie.
Il endosse la tenue camouflée des guérilleros, apprend le maniement des explosifs et du pistolet-mitrailleur. Il explique que, dans les luttes pour la justice, « c’est toujours l’oppresseur qui détermine les méthodes d’action » : « S’il use de la force brute contre les aspirations populaires légitimes, s’il refuse tout dialogue significatif et de bonne foi, la meilleure méthode en toutes circonstances, parce que les conflits sont toujours mieux résolus par le cerveau que par le sang, alors les opprimés n’ont d’autre choix que de recourir eux aussi à la force. »
Arrêté dès son retour clandestin d’Ethiopie sur dénonciation d’un agent de la CIA infiltré dans l’ANC, l’homme que la presse blanche avait surnommé « le mouton noir » pour sa capacité à échapper, par des déguisements divers, à toutes les polices qui le poursuivaient depuis des mois déjà, parce que, en tant que haut dirigeant de l’ANC, il avait organisé des grèves et des campagnes de désobéissance civile à fort retentissement, Madiba entre en prison le 5 août 1962, condamné à cinq ans pour ces faits. Et pour avoir quitté le pays clandestinement.
MANDELA REFUSE LA LIBÉRATION CONTRE SON RETRAIT POLITIQUE
Dix-huit ans plus tard, alors qu’il quitte enfin l’« île du diable » pour Pollsmoor, près du Cap, le pouvoir blanc commence à mesurer l’aura particulière de son prisonnier. En février 1985, le président P.W. Botha lui offre la libération en échange de son retrait politique et d’un appel public à la cessation des violences. Mandela refuse. Une fois, dix fois, le pouvoir essaie de le tenter.
Il n’ignore pas, grâce aux rares lettres que le détenu est autorisé à écrire à sa famille – une seule tous les six mois pendant huit ans –, combien Madiba souffre de la séparation d’avec sa jeune et belle épouse, Winnie, ses deux premiers fils, leurs deux filles qu’il ne verra pas grandir. Il sait combien Mandela a souffert de ne pas avoir été autorisé à assister aux funérailles de sa mère, morte d’épuisement en 1968, puis de son fils aîné, son favori sans doute, tué dans un accident de voiture l’année suivante. Mais, rien à faire, à chaque fois, le reclus de Pollsmoor rejette les offres conditionnelles d’élargissement.
En novembre 1985, alors qu’il entre dans sa vingt-troisième année de détention, le pouvoir blanc, qui commence à vaciller, veut ouvrir des négociations directes avec lui. Tenace, il refuse encore : « Seuls les hommes libres peuvent négocier », dit-il. Dialoguer avec les geôliers, voire avec les ministres blancs qui défilent maintenant dans sa cellule, oui. Sauver le régime par quelques réformettes et concessions à la majorité noire, non.
La situation internationale aidant, la montée de l’opprobre mondial et des sanctions internationales contre le pouvoir blanc bouleverse l’équilibre des forces. Ce sont maintenant Mandela et les siens qui fixent leurs conditions à une éventuelle sortie de prison. L’ANC et ses alliés communistes et syndicalistes doivent être légalisés à nouveau. Tous les prisonniers politiques doivent être libérés, les bantoustans créés pour diviser les Noirs et réserver les richesses aux Blancs, démantelés, la règle démocratique, « un homme, une voix », acceptée.
Quatre ans plus tard, virtuellement aux abois, le gouvernement de Frederik De Klerk accepte tout. La suite est universellement connue. Le 11 février 1990, à 16 heures, Nelson Rolihlahla Mandela, en costume gris, se dirige vers la grille de sa dernière prison. La cérémonie est retransmise en mondovision.
PERSONNE OU PRESQUE NE L’AVAIT REVU
Chacun retient son souffle. Il y a plus d’un quart de siècle que personne ou presque ne l’a revu. Pas même en photo. Le héros quadragénaire « posterisé » autour du monde a maintenant 73 ans. Les années de travaux forcés dans les carrières de chaux ont brûlé ses yeux, il ne peut plus pleurer. On craint d’apercevoir un frêle vieillard, voûté, abîmé, malade peut-être. Et c’est un miracle. Il se tient, grave, droit comme un I, prenant son épouse, Winnie, par la main. « Il était la personnification de l’avenir », s’ébaudit Nadine Gordimer, écrivaine sud-africaine, Prix Nobel de littérature en 1991.
« On avait peur qu’il ne soit pas à la hauteur de son mythe, Dieu merci, ces craintes étaient infondées », s’exclame Mgr Tutu. Son premier discours d’homme libre, au Cap, est à la hauteur de l’événement. « Je me tiens ici devant vous, non comme un prophète, mais en humble serviteur (…). Mes dix mille jours d’emprisonnement sont enfin derrière moi (…). Je place les années de vie qui me restent entre vos mains. » La foule exulte. Partout dans le monde, les opprimés communient. Lui a le sentiment de marcher vers une nouvelle vie. Elle sera compliquée. Le pouvoir est en vue, pas encore entre ses mains.
Il y a des émeutes sanglantes entre les Zoulous et l’ANC, des assassinats et des règlements de comptes par milliers, une tentative meurtrière de coup d’Etat de l’extrême droite afrikaner. Il est sur tous les fronts. Tour à tour, il cajole, condamne, menace. Il s’affirme comme le chef d’Etat qu’il n’est pas encore. Et il finit par triompher.
PREMIER PRÉSIDENT SUD-AFRICAIN ÉLU DÉMOCRATIQUEMENT
Le 10 mai 1994, après quatre longues et difficiles années de négociations pied à pied avec la minorité blanche, de plaidoiries enflammées autour du monde, l’icône prête serment : il est le premier président de la République sud-africaine élu démocratiquement. Son parti a obtenu 62,6 % des voix.
« Jamais, plus jamais, ce beau pays ne vivra l’oppression des uns par les autres, lance-t-il. L’humanité ne connaîtra pas plus grand accomplissement. Que règne la liberté ! » L’homme a rejoint sa légende.
Chef de l’Etat, il donne les grandes orientations, multiplie les gestes symboliques de réconciliation. En prison déjà, « le pardon était une stratégie de survie pour lui », écrit Bill Clinton, président des Etats-Unis de 1993 à 2001. Pour le reste, il laisse son premier ministre, Thabo Mbeki, gérer le pays, plonger les mains dans le cambouis, changer les lois, passer les compromis nécessaires à la paix civile, bref, gouverner.
Madiba a prévenu qu’en raison de son grand âge et de sa soif de découvrir ce monde de jumbo-jets, de satellites et d’ordinateurs qu’il n’a pas connus, il ne ferait qu’un seul mandat. En mai 1999, il se retire de la scène politique. Trois ans plus tôt, évoquant « l’immense solitude » qui fut la sienne après sa libération aux côtés de Winnie, laquelle a multiplié les frasques et encouragé l’extrémisme, il a demandé le divorce. Fin 1993, déjà séparé d’elle, il est tombé amoureux pour la dernière fois de sa vie.
Douce, intelligente, pleine de compassion, Graça Machel a vingt-sept ans de moins que lui. Elle est veuve du président du Mozambique, Samora Machel, disparu en 1986. Il est, dit-il, « très attiré par cette remarquable femme ». Elle l’aime aussi, ils sont vus partout ensemble, main dans la main. Le 18 juillet 1998, pour le 80e anniversaire du grand homme, Graça dit enfin oui. L’heure du départ approche.
Après 1999, peu à peu, Madiba se retire des affaires du monde, il ne commente plus les affaires politiques. Sauf exception, comme en 2003, lorsque George W. Bush, « un président qui ne sait pas réfléchir », lance l’attaque sur l’Irak. On sait que les déboires de son successeur, Thabo Mbeki, éjecté du pouvoir par ses rivaux de l’ANC, le « désespèrent ».
Mais, discipliné jusqu’au bout, il ne dit mot. Et soutient, en 2009, la candidature à la présidence d’un ex-compagnon de prison, Jacob Zuma. Il honorera encore de sa présence quelques galas de charité pour les fondations – en faveur de l’enfance surtout – qu’il patronne, participe aux campagnes internationales de lutte contre le sida et, en juillet 2010, assiste au match de clôture de la Coupe du monde de football, qui s’est tenue en Afrique du Sud.
Au crépuscule de sa longue vie, Madiba le magicien partageait son temps entre Johannesburg et le Mozambique, coulant ses derniers jours dans la paix et le silence. Auprès de Graça, son ultime amour.
Avec: lemonde.fr