N’Djamena: Au coeur du défi immobilier

1300022100.jpgLa ville ne cesse de croître et fait face à une pression immobilière sans pareille que tente de canaliser le tout nouveau ministère des Domaines et des Affaires foncières. Ce mardi 08 novembre 2011 n’est pas un jour heureux pour Jacqueline Gotingar.

Le visage fermé et le regard inquiet, cette quinquagénaire tient fermement une pile de documents résumant les bisbilles qu’elle connait avec un inconnu sur une parcelle de terrain. «Ily a quelques années, j’ai acquis cette parcelle de terrain mais, la procédure d’obtention d’un titre foncier étant ce qu’elle était à l’époque j’ai laissé tomber vu que c’est ce que tout le monde faisait. Malheureusement, quelques temps plus tard, au moment où j’ai voulu mettre cette parcelle de terre en valeur, je me suis rendue compte qu’elle avait été revendue à quelqu’un d’autre qui, lui également, n’a pas encore pu se faire établir un titre foncier» raconte-t-elle avant de poursuivre : «là, je suis venue rencontrer le directeur général du cadastre pour essayer de voir ce qu’il y a à faire». Une querelle sur la propriété foncière que vivent beaucoup de Tchadiens.

C’est que, depuis environ cinq ans, le Tchad de façon générale mais la capitale, N’Djamena, de façon plus précise vit son boom immobilier et foncier. «Lorsque dans les années 1997 je revenais en vacances au Tchad alors que mes parents résidaient au Mali, j’avais toute les peines à me retrouver. N’Djamena ressemblait à un vaste village aux cases faites en matériaux locaux et aux routes sinueuses et pleines de sable. C’est totalement différent de ce que l’on voit aujourd’hui avec ces immeubles en matériaux définitifs qui se construisent pratiquement en six mois, ces routes qui ont été refaites. Les choses ont beaucoup évolué et les gens semblent prendre du plaisir à construire», confie Maïramou Tina qui lie cet engouement pour le foncier au retour progressif à la stabilité dans le pays. «Les gens sont rassurés et se disent qu’ils peuvent se poser, faire des projets, penser à demain», estime cette employée dans une entreprise de télécommunications locales.

Toutefois, se désole-t-elle, cette poussée de l’immobilier et du foncier tarde à être maîtrisée. «Au Tchad, dans la conscience publique, la terre appartient non pas à l’Etat comme cela est rappelé à chaque fois, mais plutôt au chef traditionnel tant au niveau des quartiers en périmètre urbain qu’à l’intérieur du pays. Malgré la sensibilisation du gouvernement, ce sont ces derniers qui revendent la terre avec toutes les conséquences fâcheuses que cela peut impliquer» analyse la jeune dame.Dans le même temps, les autorités doivent refreiner les ardeurs de ces «nouveaux riches» qui achètent de grandes parcelles de terre à tour de bras au détriment des populations défavorisées qui se voient contraintes de se masser dans des quartiers situés en périphérie de la grande ville. Dans cette mouvance, alors que le prix de la terre se fait de plus en cher, celui du logement grimpe à une vitesse vertigineuse. «Pour avoir un appartement moderne et tout au moins décent dans Ndjamena, il faut débourser environ 200.000Fcfa par mois. Sinon, vous optez pour une construction en matériaux provisoires dans un quartier en périphérie», rappelle-t-elle.

Pression

Comme pour apporter une réponse à ce problème du foncier qui prend une envergure particulière à travers le pays, lors du remaniement ministériel survenu en août dernier, le président de la République du Tchad, Idriss Deby a surpris plus d’un en créant un ministère des Domaines et des Affaires foncières. Ledit ministère a pour principale mission de juguler le problème foncier mais aussi d’assurer la sécurité du domaine privé et celui de l’Etat. A cet effet, Jean Bernard Padaré, ministre des Domaines et des Affaires foncières du Tchad dit s’inspirer «des cas Camerounais pour la proximité et Malien pour la configuration géographique», pour résoudre le problème du foncier dans son pays. Un problème d’autant plus important que, souligne-t-il «devant les juridictions civiles compétentes, le volume de dossiers litigieux concerne la question foncière tant en zone urbaine que péri-urbaine».

Et le directeur des affaires juridiques dudit ministère de préciser : «au regard du code civil actuel, il existe tout juste 3.900 titres fonciers inattaquables à travers le pays». C’est dire que par le passé, la préservation des domaines n’était guère au centre des préoccupations tant des populations que des gouvernants. Selon Mahamat Dembang, le directeur général du Cadastre au ministère des Domaines et des Affaires foncières, la situation actuelle tient aussi de ce que : «dans les années 1980, les fonctionnaires ont été appelés à aller au cadastre pour s’approprier quelque parcelle de terre. Une initiative qui a, en partie, provoqué le boom immobilier que vit actuellement le pays. A cette époque, beaucoup de personnes ont commencé à comprendre que le foncier est le seul investissement durable. De fait, dans les grandes villes, on assiste à la fin des terres appartenant traditionnellement à l’Etat. Nous sommes donc, dans le contexte actuel, obligés de faire des restructurations au lieu des lotissements aux populations».

Face à cette pression mise sur les terres, il devient donc urgent, affirme M. Djikoloum, le secrétaire général de ce ministère, d’organiser une refonte générale des textes qui datent pour la plupart de 1967. «Ce sont des textes qui ne répondent plus efficacement aux défis auxquels nous devons faire face aujourd’hui», estime-t-il. Principalement, il s’agira de mettre fin aux batailles régulières entre nomades et sédentaires qui perdurent du fait du nombre sans cesse croissant de la population. De fait, si la pression est mise sur les terres en zone urbaine, notamment à N’Djamena, en zone rurale, les affrontements entre populations autour de certaines terres sont également fréquents. Afin d’emmener les uns et les autres à comprendre les enjeux, un forum sur le foncier est annoncé pour les prochains mois. Organisé en coopération avec les autorités traditionnelles, il sera l’occasion d’expliquer les textes sur la propriété foncière aux différentes parties.

Pessimisme

De beaux discours que la population tarde de voir se traduire en actes. Hervé, jeune entrepreneur à la quête d’une parcelle de terrain pour établir son entreprise estime en effet qu’en l’état actuel des choses, le ministère des Domaines et des affaires foncières aura du mal «à mener à bien sa mission. Déjà, raille-t-il, ils n’ont pas de locaux et sont, comme c’est certes le cas pour la plupart des ministères au Tchad, en sous-effectif criard. Comment peuvent-ils gérer sereinement les dossiers qui leur sont confiés. En plus, pour résoudre un problème, les usagers sont écartelés d’un lieu à un autre. C’est difficile de suivre ce rythme. De plus, poursuit-il, on a l’impression que le ministère a été crée à la hâte, sans qu’une étude préalable ne soit faite. C’est dommage».

Et alors que le gouvernement local reste très engagé dans la poursuite de l’urbanisation et la modernisation du pays, les immeubles n’arrêtent pas de pousser comme des champignons sous la pression d’investisseurs locaux pressés de faire des bénéfices. Les querelles foncières, elles, continuent d’occuper 90% des dossiers à traiter par les instances judiciaires, tandis qu’au ministère des Domaines et Affaires foncières, on se veut optimiste. M. Padaré de préciser : «Nous expliquerons progressivement les choses à nos populations qui doivent comprendre que les choses vont se mettre en place progressivement. Du fait de la guerre, affirme le Mindom, il y en a qui se sont appropriés l’immobilier appartenant à l’Etat» Une bataille qui est loin d’être gagnée.

Siurce: http://quotidien.mutations-multimedia.com  -  Dorine Ekwè, à N’Djamena

 


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