Tchad: Koulsy Lamko, l’écrivain de l’exil

Intellectuel nomade, le Tchadien raconte son «pays de merde qu’il adore», l’exil, son rôle de griot et l’Amérique latine, où il vit désormais.

koulsylamko.jpgLes racines du Yucca, le roman qu’il vient de publier aux éditions Philippe Rey, réunit le manioc (yuca) de son enfance tchadienne et le Yucatán, réunissant par là l’Afrique qui l’a vu naître et l’Amérique latine, où Koulsy Lamko réside depuis huit ans.

Sa mère nourrissait la famille, au nord du Tchad, avec cette plante dont elle tirait un alcool. Et ces femmes mayas, ex-réfugiées guatémaltèques qu’il a rencontrées au Mexique, ont survécu en mangeant ces mêmes racines. L’image est bien de celles qu’invente, en toute liberté, ce créateur nomade, écrivain, dramaturge et entrepreneur culturel errant, qui endosse les nouveaux habits du «gos».

«Le gos, dans ma culture, est peu ou prou l’équivalent du griot, qui correspond à l’artiste complet, sans ces différences artistiques segmentées à la façon occidentale, car il utilise tous les arts de la parole. Quelle que soit la société dans laquelle je m’arrête, je me dois d’être comme lui un témoin de mon temps, un éveilleur de conscience, un poète citoyen qui interroge ce qui est établi, et fait entendre le murmure sourd du peuple…»

L’exil, l’exode

Musique, opéra (il est l’auteur du livret de Bintou Were, opéra du Sahel), poèmes, théâtre ou romans, Koulsy Lamko ne dresse de frontières ni entre les genres, ni entre les pays traversés depuis son exil, en 1983, d’un Tchad alors en guerre. Ce premier arrachement explique son itinéraire jusqu’aujourd’hui, où il accueille à la Casa Hakili (mot bamanan qui signifie esprit), espace où souffle l’esprit africain, des écrivains en difficulté dans leur pays.

Ceux-ci y trouvent refuge pour écrire, tel l’écrivain camerounais Bertrand Teyou, condamné pour diffamation du nom de l’épouse du président Paul Biya, et sorti de prison grâce au Pen Club. Il passera une année au centre culturel de Koulsy Lamko à Mexico, qui accueille aussi des résidences d’auteurs.

«J’ai fait venir deux écrivains maliens, dont l’historien Fody Sidibé pour une tournée de conférence dans les universités. Il a raconté, à travers les chasseurs, l’histoire de l’empire mandingue. Mon but est en effet de déconstruire les préjugés sur le noir, l’Africain, dans un Mexique qui n’a pas d’histoire commune avec l’Afrique et conserve des préjugés très négatifs.»

L’écrivain en sait quelque chose. Il reprend beaucoup de son expérience personnelle dans Les racines du Yucca («pas toutes», précise-t-il au sujet des nuits chaudes du narrateur), mais notamment celle d’avoir été traité de «negro cana»:

«Je l’ai vécu dans un village maya où les noirs restent encore ceux qui travaillent dans les champs de canne à sucre. Un des projets de Casa est justement de retrouver une mémoire perdue en créant un spectacle total dans une zone de Guerrero [région du sud du Mexique, ndlr] où vivent des descendants d’esclaves africains emmenés au Mexique pendant la colonisation espagnole.»

D’autres destins se mêlent au sien dans ce roman magistral de l’exil et de l’exode, puisque le narrateur, un écrivain africain, aide une réfugiée maya à écrire le récit du sien au cours d’ateliers d’écriture. C’est encore le gos qui transmet la parole, en l’occurrence par l’écrit, et c’est lui qui fait tenir cette déconstruction qui ressemble à la complexité du monde.

Le Tchad, son «pays de merde qu’il adore»

Mouvements constants, changements de registre, de style, de tons; humour et rage, douleur et douceur; à peine se pose-t-on qu’il faut déjà repartir ailleurs. Au Tchad, dans ce récit de Léa que le narrateur peine à écrire. Cette amie d’enfance a vu son père égorgé par celui-là même dont elle deviendra la concubine. Koulsy Lamko a 25 ans de «résistance» derrière lui, et il a vu beaucoup de ses camarades restés au pays perdre leur idéal.

«Tant de gens sont broyés par l’édifice en place, ils entrent dans la corruption en finissant toujours par me dire, à moi qu’ils traitent de fou: « Il faut être réaliste ». J’ai eu envie de réfléchir ici à la compromission.»

Tout au long du livre revient d’ailleurs cette adresse à son «pays de merde qu’il adore». Ce Tchad qu’il garde au cœur et au corps, qu’il a quitté sans jamais pouvoir y revenir. «Par lâcheté, peut-être, mais c’était la seule façon de survivre.»

Revendications et identité

Sur ce long chemin d’exil, le Burkina Faso marque son éveil à la conscience politique: «La question de l’idéal s’est posée là, à travers Thomas Sankara. J’aurais voulu naître burkinabè parce que c’est un peuple très courageux!»

Puis vient la période rwandaise. Koulsy Lamko participe en 1998 à l’opération «Devoir de mémoire», d’où naît son premier roman La phalène des collines. Mais il ne s’arrête pas là.

«Dans mon pays, celui qui partage le deuil d’un ami attache lui aussi un morceau de tissu blanc à son poignet. Rester au Rwanda était une manière de dire que la douleur du pays était la mienne, que si un malheur arrive au pays voisin, il n’est pas seul.»

Il y fonde le Centre universitaire des arts, dans le but de redonner espoir aux jeunes de Butare. «L’esprit critique s’éduque par l’art, un atelier de théâtre est un espace de prise de parole incroyable.» Avec le soutien du recteur de l’université, il reste quatre ans, puis s’en va après avoir formé la relève locale. Est-ce le temps du retour au pays? Sa tentative est un échec: il assiste à l’assassinat d’un cousin professeur, tué à coups de couteau… Il repart, mais continue de croire en l’homme. Et en l’Afrique.

«Petit à petit, la jeunesse africaine essaie de comprendre quels sont les mouvements qui régissent les relations entre les puissants et les faibles. Le cynisme est tellement évident que la volonté de puissance est mise à nu. Mon grand espoir est que cette jeunesse, comme la foule tunisienne, descende dans les rues coude à coude. J’oppose cette vision à la zombification de mon pays de merde que j’adore, mais qui ne bouge pas…»

L’Amérique latine lui sert de modèle à travers des revendications communautaires qui vont vers la préservation de l’identité, et dont les Mayas sont un exemple. Au risque du repli?

«Pour moi, ce n’est pas un repli. Le repli existe davantage du côté des Etats-nations qui dressent des barbelés. Les vrais ghettos sont là. Alors que les communautés montrent la nécessité de vivre en harmonie avec leur environnement plutôt que d’aller vers ce développement effréné qui détruit la planète.»

Les racines du Yucca porte aussi une violente diatribe contre l’esclavage des temps modernes imposé par les multinationales. Koulsy Lamko y dénonce ces guerres impérialistes qui ne disent pas leur nom et laissent les peuples de l’Afrique subsaharienne sans projet.

Malgré la cocasse allergie au papier du narrateur sur laquelle s’ouvre son livre —et dont il souffre lui-même depuis 2006!— Koulsy Lamko s’est lancé dans la réécriture d’un manuscrit perdu, le second tome de sa trilogie dont Les Racines du Yucca est le dernier volet. Champs de folie racontait le début de l’histoire du narrateur depuis le Tchad, le deuxième volet intitulé Daarfoor se déroulait dans un camp du Darfour (région de l’ouest du Soudan).

Ces trois livres sont irrigués par la pensée de l’écrivain Federico Jeanmaire qui ne s’arrêtait pas tant à la guerre et aux destructions qu’elle engendre, qu’à «la haine qui reste». De pays en pays, d’œuvre en œuvre, Koulsy Lamko lui oppose son espérance têtue, de celle qui font les justes.

Source: slateafrique.com

 


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