Mahamat Saleh Haroun : « Etre juré à Cannes est un honneur et une responsabilité»
Prix du jury en 2010 pour son film « Un homme qui crie », Mahamat Saleh Haroun, cinéaste tchadien, était membre du jury du festival de Cannes cette année. Samedi, la veille des délibérations, il a évoqué, pour « La Croix », la responsabilité de cette charge et la manière dont il l’a abordée.
« J’étais au Tchad, en pleine cambrousse et sans réseau téléphonique. De retour à N’Djamena, j’ai entendu un message de Thierry Frémaux qui me demandait de le rappeler de toute urgence. Je pensais qu’il allait peut-être m’inviter dans un colloque ou un atelier. Je suis tombé de haut.
Il me proposait un beau défi qui, paradoxalement, m’a placé dans une situation d’humilité. Parce que c’est important de s’inscrire dans l’Histoire, de prendre des décisions, de faire des choix qui resteront.
Les jurés sont sélectionnés par le Festival pour leur vision et leur proximité avec un certain cinéma. Revenir un an seulement après avoir été en compétition est assez rare. J’ai pris cet honneur, au-delà de ma personne, comme un signal lancé à l’Afrique. Une façon de dire à ceux qui pensent que Cannes ne se préoccupe pas de ce continent que, quand on a des choses importantes à dire, une place leur est faite.
Il faut se préoccuper d’être dans cet endroit, se donner les moyens d’y figurer. Tous les cinémas du monde s’y confrontent et viennent acquérir plus de visibilité. À nous aussi de faire bouger les choses.
« Nous vivions avec et pour les films »
Je me suis retrouvé dans un jury de haute tenue qui a élargi mon horizon et mon regard. J’aime bien les expériences qui me permettent d’apprendre. On est conscient quand on arrive qu’il faut défendre un cinéma exigeant et qui parle au monde. Les discussions, entre nous, m’ont permis de comprendre des aspects que je ne percevais pas bien ou pas toujours. Ce que j’ai vécu comme juré a ressemblé à une sorte d’apprentissage.
Nous étions un peu coupés de tout, dans une sorte de bulle. Nous vivions avec et pour les films. Moi qui d’ordinaire dévore les journaux, je m’étais imposé de ne pas lire la presse. Je voulais me concentrer sur ce que je ressentais. Cogiter et ne parler des films qu’avec les membres du jury offrait aux œuvres une chance de voyager dans ma tête et d’y trouver leur place.
Ce silence fut une expérience inédite et neuve. J’ai mieux saisi ce qu’a d’unique une œuvre et ce qu’elle nous apprend. Je m’étais aussi fixé pour règle de voir les films le matin à 8 h 30 et 11 h 30 pour la fraîcheur de l’esprit.
Impressionné par Robert De Niro
Les organisateurs ne nous ont pas imposé d’autres contraintes que celle du silence vis-à-vis de l’extérieur sur nos discussions et nos décisions. Dès la première réunion, Gilles Jacob s’est adressé à notre président, Robert De Niro : “Je vous confie les clés du Festival de Cannes.”
Dès lors, après avoir bien délimité le cadre de notre travail, ils nous ont laissés libres. C’était même assez extraordinaire. Je me sentais déconnecté des influences extérieures et je n’avais aucune pression. Ce qui nous préoccupait, c’était de parvenir à des choix justes et défendables, cohérents.
Passer dix jours avec De Niro ne m’a empêché de dormir mais on est forcément impressionné. En réalité, nous portons un regard sur lui qui fausse tout. À partir du moment où on l’approche, on le connaît, il se révèle, comme tous les grands, un homme simple, à l’écoute, qui aime les rencontres.
Dès lundi, je vais retrouver mon existence de citoyen ordinaire. J’ai hâte de reprendre contact avec le réel, de revenir à cette vie simple qui me rapproche de ce que j’essaie de raconter dans mes films. »
Source: la-croix.com